Aujourd’hui mon invité est Maurice Rossin. Maurice Rossin a conseillé des Ministres et des Etats, pour les aider à développer leurs économies et leurs politiques agricoles, notamment en Asie Centrale et en Russie. Il a créé plusieurs entreprises liées au monde agricole dans différents pays, et a travaillé au plus haut niveau, autant dans le privé que dans le public. Il a été Conseiller Agricole pour la France à la Mission Economique de l’Ambassade de France de Moscou. Son expérience unique fait de son témoignage un point de vue très enrichissant sur la coopération agricole et agro France Russie (au sens large).
Voyez plutôt 😉
Thomas Béguin : Bonjour et bienvenue sur cette nouvelle interview de russie.fr. Je suis aujourd’hui avec Maurice Rossin. Maurice Rossin est un très grand spécialiste de la coopération agricole entre plein de pays : la France et de nombreux autres pays où il a travaillés, notamment au Brésil en Afrique, en Asie centrale, en Russie et j’en passe. Maurice Rossin a été conseiller agricole en Russie pendant 4 ans, c’est bien ça ? Et il a de ce point de vue évidemment énormément de choses à raconter sur un sujet immensément vaste : l’agriculture et le monde agro-alimentaire en général en Russie, donc le plus vaste pays du monde bien sûr.
Maurice Rossin, bonjour, merci d’avoir accepté cette interview, est-ce que je peux vous laisser vous présenter en quelques points ?
Maurice Rossin : Merci donc ma présentation sera simple en donnant les principales étapes et la continuité ou la discontinuité dans ces étapes.
Donc d’abord fils d’agriculteur donc connaissant assez bien le monde rural français dans la Bourgogne profonde. Ensuite des opérations en Côte d’ivoire pendant 8 ans dans la gestion d’opérations de l’état : la riziculture. J’étais directeur technique de toute la riziculture ivoirienne, avec de bons résultats d’ailleurs. Ensuite l’implantation en Amérique latine dans un cadre privé de sociétés agro-industrielles pour faire du palmier à huile au Brésil et en Équateur.
Avec au Brésil un succès mitigé, en Équateur un très grand succès : c’était le plus grand projet d’Amazonie en agro-industriel avec du palmier à huile, la plante que l’on honnit actuellement, ce qui est une grosse erreur, mais ça, ce n’est pas le sujet.
Ensuite le retour en France pour faire de la gestion pour le compte en particulier d’Etat. Pour s’apercevoir que la gestion est une chose intéressante, mais la direction d’opérations avec son propre argent est plus importante et plus intéressante que de dépenser l’argent des autres.
Ensuite la participation en tant que patron des betteraviers français, donc dans le domaine coopération, dans le domaine associatif ou dans le domaine corporatiste. Puis le passage dans le domaine du coton en Asie centrale avec la compagnie française de développement des fibres textiles. Essayer de conseiller ces gouvernements du Kazakhstan, d’Ouzbékistan, du Turkménistan pour…
Thomas Béguin : C’est ça, donc vous avez conseillé des gouvernements, des ministres…
Maurice Rossin : Des gouvernements et des Ministres pour essayer de faire passer la filière cotonnière, qui est la richesse de ces pays, du domaine étatique au domaine privé, pensant que je connaissais les deux, ce qui était une erreur. Je connaissais les deux mais ça ne passait pas, parce que la crédibilité c’est l’argent, ce n’est pas uniquement le conseil que l’on donne.
Revenir ensuite dans le sucre parce qu’apparemment j’ai quand même eu d’assez bons résultats et là j’étais le patron, le directeur international du groupe Terreos maintenant, pour lancer des opérations au Brésil et en Europe centrale avec de bons résultats : d’excellents résultats. Terreos est la deuxième compagnie sucrière mondiale aujourd’hui. Et pour terminer ma carrière professionnelle en Russie où je pensais faire la synthèse de ce que j’avais appris : privé, public, gestion etc. au niveau de l’ambassade de France.
Thomas Béguin : D’accord. Merci à nouveau d’avoir accepté cette interview. C’est vraiment un honneur pour moi de vous interviewer ici. Vous êtes arrivé en Russie en quelle année et pour combien de temps ?
Maurice Rossin : Septembre 2003 et parti en avril 2007.
Thomas Béguin : J’ai une question à vous poser, on a préparé cette interview et vous m’avez dit quelque chose d’incroyable que je ne connaissais pas : c’était que finalement le potentiel russe agricole était quasiment de nourrir le monde : y avait une idée un petit peu comme ça. Est-ce que vous pouvez me parler de ça ?
Maurice Rossin : Plusieurs fois, le Ministre de l’agriculture « Gordeev », terme qui a été repris plusieurs fois ensuite par le président Poutine, avait pour habitude de dire, « nous avons le plus grand pays du monde avec des terres de toute nature. Nous avons les plus grandes réserves d’eau du monde, ce qui est vrai, donc nous avons vocation de nourrir le monde. »
« Nous avons le plus grand pays du monde avec des terres de toute nature. Nous avons les plus grandes réserves d’eau du monde, ce qui est vrai, donc nous avons vocation de nourrir le monde. »
Thomas Béguin : D’accord. Pour ce qui concerne les terres, nous avons aussi du tchernoziom mais pas seulement. Le tchernoziom, ce sont les terres noires bien sûr qui sont assez connues…
Maurice Rossin : Les terres sont un support. Quand les terres sont trop bonnes, elles sont très difficiles à exploiter. Les meilleurs résultats obtenus au Brésil sont les terres rouges, pauvres mais bien structurées. Elles sont bien meilleures que les terres tchernoziom, terres très riches et très difficiles à travailler demandant beaucoup de technique, beaucoup de matériel et d’investissement. Donc terre noire n’est pas égale à richesse, c’est « richesse potentielle ».
Mais la Russie a peut-être les possibilités de nourrir le monde mais actuellement elle n’arrive pas à se nourrir. Elle y arrive de moins en moins quelles que ce soient les déclarations qui sont faites, ou bien parce que les gens mangent de plus en plus ou de mieux en mieux.
Mais actuellement, les importations d’agroalimentaire sont passées de 10 à 35 milliards de dollars sur les dix dernières années. Ça montre quand même bien que la Russie est devenue l’un des premiers importateurs d’agroalimentaire du monde.
Thomas Béguin : Si je comprends bien, la Russie a un potentiel colossal, en terme de production et probablement d’exportation, peut-être un jour, de denrées agroalimentaires au sens large. Elle aurait conscience de son potentiel, mais aujourd’hui elle a de plus en plus de besoins d’importations, n’ayant pas rempli en gros…
Maurice Rossin : Elle dépend de plus en plus des marchés mondiaux. Et comme les marchés mondiaux se sont envolés avec des produits comme la viande et qu’elle consomme de plus en plus, parce que la Russie est devenue quand même plus riche qu’elle ne l’était avant. Elle consomme de plus en plus de fruits et légumes, de pommes de terre, de pommes etc. Et elle les importe parce qu’elle ne peut pas les produire. Parce que les circuits n’ont pas été faits pour produire sur place.
Mais disons qu’ils sont plus efficaces pour les importer. On a toujours cette espèce de lutte entre la production et les importations. Et les Russes, en bons commerçants qu’ils sont, et peut-être aiguillés par les exportateurs européens, pensent que finalement, on peut importer plus que produire et c’est à mon sens, en tant qu’homme de base, une grosse erreur politique de ne pas occuper son territoire par une agriculture, parce que l’agriculture est encore, en particulier avec un pays comme la Russie, qui a su démontrer au cours de son existence, Dieu sait si elle a été sanglante sur les 250 dernières années, que ses paysans étaient quand même la meilleure protection contre les invasions d’où qu’elles proviennent. La protection de la Russie, c’est son occupation agricole productive plus que l’armée.
“La protection de la Russie, c’est son occupation agricole productive plus que l’armée.”
Thomas Béguin : Donc ce n’est pas seulement une histoire d’argent, d’économie positive ou de balance commerciale, c’est clairement une question stratégique de sauvegarde des frontières.
Maurice Rossin : C’est une option politique fondamentale, oui. Un pays de la taille de la Russie devrait être, avec toutes les réserves du mot « devrait », devrait être au moins autosuffisant. Je ne suis pas un pessimiste. J’ai travaillé au Brésil dans les années 75 quand en 75 le Brésil n’arrivait pas à se nourrir. Il importait beaucoup de choses. Par suite de bonnes politiques, 30 ans plus tard, le Brésil nourrit le monde. Le Brésil aujourd’hui exporte pour plus de 100 milliards de dollars d’agroalimentaire. 100 milliards de dollars ! Et le premier fournisseur agroalimentaire de la Russie, c’est le Brésil : 4 milliards de dollars par an.
Thomas Béguin : D’accord. On a en tête la Russie et l’Ukraine, ancien grenier à blé de l’Europe. Non seulement on pourrait peut-être ré atteindre cette notion de grenier à blé de l’Europe mais peut-être aussi beaucoup plus largement sur les productions agricoles et l’élevage pourquoi pas un jour ?
Maurice Rossin : Oui, le grenier à blé, c’était du temps d’avant. Ça été le cas, c’est vrai. Les flux mondiaux étaient très réduits à ce moment-là. Disons qu’on faisait de l’exploitation extensive et là, ils ont bien joué le rôle de grenier d’Europe.
Ensuite, l’Union soviétique a mis en place une agriculture centralisée qui a permis de détruire toute initiative individuelle. Ce qui est étonnant, c’est de voir quand la Russie lance des satellites, finalement c’est toujours le bricoleur russe, bricoleur né, qui finalement quelques fois pallie aux faiblesses de l‘électronique. Et bien en agriculture, c’est presque pareil.
L’agriculture c’est un métier de bricoleur, sur un fond technique. Mais de ce point de vue-là, les russes ont d’énormes possibilités de bricoler… Des agriculteurs de génie, par ce don de la bricole qu’ils ont, et Dieu sait dans leur datcha si ils cultivent bien leurs terrains, mais malheureusement ceci a été gommé par un certain nombre d’années où ils n’avaient pas à décider, mais uniquement à exécuter.
Thomas Béguin : Pour en revenir sur un point important que vous évoquiez : la Russie importe à peu près 40 milliards de dollars de denrées alimentaires pour se nourrir chaque année. Est-ce que c’est parce qu’elle produit moins bien aujourd’hui et qu’elle a régressé dans ses systèmes de production agricole, ou est-ce qu’il y a autre chose derrière ?
Maurice Rossin : D’une part, les besoins alimentaires se sont diversifiés, les russes mangent de mieux en mieux, de plus en plus, parce qu’ils sont quand même passés par une certaine période de disette dans les années 90 et 2000.
“Les besoins alimentaires se sont diversifiés, les russes mangent de mieux en mieux, de plus en plus”
Et maintenant, on revient au niveau de la production d’avant. Mais disons que l’appareil de production agricole n’a pas suivi cette demande russe. Pas partout parce qu’il y a quand même quelques exploits dans ce système-là. Je suis en particulier le groupe Youg Rossii, qui est un groupe basé à Rostov de Sergueï Kisslov.
Thomas Béguin : C’est l’un des grands agro-holdings aujourd’hui…
Maurice Rossin : C’est l’un des grands agro-holdings puisque ce groupe-là fait actuellement 35% du marché russe d’huile de tournesol, qui a une production entièrement intégrée. Et il a une efficacité qui est assez stupéfiante et qui me surprend, il est capable d’être en compétition sur le marché mondial.
Donc il y a des gens… il y a dans tout ce fatras russe, des grands vainqueurs qui sont prêts à rentrer en compétition dans le monde. La majorité non. Mais il y a quelques exploits quand même.
Thomas Béguin : Dans les quelques gros acteurs internationaux qui se sont formés, ce n’est pas seulement des puissances financières aujourd’hui les agro-holdings. Il y a aussi quelques « pure players » ?
Maurice Rossin : Il y a des agro-holdings qui sont basés sur la finance et des agro-holdings qui sont basés sur l’agriculture. En général, réinjection de finances gagnées dans le commerce dans le domaine agricole, mais aussi mobilisation de fond d’états, parce que l’Etat malgré tout semble s’intéresser de plus en plus à l’agriculture. Et ça peut être un bon moyen pour mobiliser les fonds de l’état au nom de l’agriculture. Dire que les fonds ont bien été utilisés pour l’agriculture, ça c’est autre chose.
Thomas Béguin : Est-ce que l’état russe a saisi aujourd’hui les enjeux stratégiques et économiques de son agriculture ?
Maurice Rossin : Si on écoute les discours, oui.
Thomas Béguin : Si on écoute les discours… En réalité, on voit peu de choses bouger ?
Maurice Rossin : En réalité, on a toujours… quand des flux importateurs permettent des enrichissements importants à des gens qui ont de bonnes positions. Il est évident que certains ont quand même intérêt à ce que ça continue.
Si vous attendez beaucoup d’argent en important de la viande, pourquoi en produire sur place ? C’est là où la politique a son mot à dire. La politique, ce n’est pas mon secteur mais quand on regarde de loin, faire de l’élevage, c’est penser à long terme. Gagner de l’argent à court terme, c’est moins risqué et plus facile.
Thomas Béguin : Donc la Russie pourrait nourrir le monde. J’ai envie de demander les pieds dans le plat : Et la France dans tout ça ? La France, c’est un tout petit pays en comparaison de superficie…
Maurice Rossin : C’est un tout petit pays, mais qui donne beaucoup de grandes leçons. Et ce dont les Russes ne veulent plus avoir, c’est des leçons. Par contre, être un co-acteur au niveau de l’exploitation de ces potentialités russes… Là, il y a une potentialité phénoménale. Et, pour donner un exemple, parce qu’on n’est pas en Russie si on a pas d’anecdote : Tout le monde est en extase devant les ballets russes, devant la danse russe. C’est Petipa qui a tout inventé et Petipa, c’était un français de Marseille, qui s’est installé là-bas, qui est resté 20 ans, 30 ans, à Saint Petersbourg. Il a eu beaucoup de femmes et beaucoup d’enfants.
“Tout le monde est en extase devant les ballets russes, devant la danse russe. C’est Petipa qui a tout inventé et Petipa, c’était un français de Marseille”
Donc, ce qui a été fait dans l’art, puisqu’à l’époque, la Russie parlait français, (Il suffit de lire Tolstoï de Guerre et paix, la Russie parlait français). L’armée était allemande et le peuple était russe. Maintenant la France n’est peut-être plus le barbier que l’on retrouve dans Onéguine, ou le Petipa ou le Montferrand pour la cathédrale à Saint-Pétersbourg. Mais disons qu’elle peut, peut-être actuellement dans le domaine agricole, essayer de voir ce que nos brillants anciens ont fait, dans un secteur où ils avaient une prédominance, et ce qu’ils pourraient faire aujourd’hui dans un secteur où ils ont manifestement quelques difficultés à exprimer leur potentialité en France.
Puisqu’en France, être agriculteur consiste à gérer des opérations de subventions dans une agriculture qui est fondamentalement stabilisée, l’Europe, et la France en particulier, est devenue importatrice en viande, alors qu’on a les meilleures races du monde, à ce que l’on dit, les meilleurs éleveurs du monde. Je n’en doute pas, et on n’est pas capable de les exprimer puisqu’on a une production qui est parfaitement stabilisée.
Le Brésil, il faisait 60 millions de têtes dans les années 70. Aujourd’hui, ils ont 200 millions de têtes de bétail. Bon, bien sûr, ce ne sont pas tout à fait des civilisés. Ils ont beaucoup de leçons à apprendre de notre part. Ils ne nous ont pas attendus pour en faire.
Donc je crois que nous, nous savons beaucoup de choses.
Et ce que j’ai appris de la Russie, c’est que c’est un pays où, si j’avais 30 ans, je m’installerais aujourd’hui. Parce que je me sens capable de la faire produire et j‘ai confiance dans sa potentialité. Et j’ai confiance, que ceux qui vont s’y installer aujourd’hui, dans des secteurs où ils seront meilleurs que les autres. Et s’ils ont des avantages compétitifs, ils ont vraiment des fortunes à faire. Mais pas d’argent, disons de… de leur vie.
Thomas Béguin : Cela implique que vous ayez aussi confiance en sa capacité d’accueil ? Sur une installation, sur des terres…
Maurice Rossin : Absolument ! La Russie a beaucoup de points communs avec le Brésil. Si vous y allez pour faire un coup et revenir, n’y allez pas. Parce qu’ils sont plus forts que nous, ils sont chez eux. Nous on n’est pas chez nous. Par contre, si vous y allez et que vous dites, « Bon maintenant, je suis de votre équipe et j’y reste ».
Et la meilleure façon bien sûr, c’est d’épouser une russe. Ne vous inquiétez pas, elles sont jolies. Elles sont magnifiques. Et si je reprends les discours de Dostoïevski sur Pouchkine, en plus ce sont des femmes fidèles. C’est ce qui se disait avant ! Mais je ne suis pas certain que ça continue. Mais enfin, disons que la capacité d’intégration d’un français en Russie est, à mon avis, totale.
Je ne dirais pas la même chose, si vous étiez en Afrique, où j’ai travaillé, ou si vous étiez en Asie, où j’ai travaillé.
En Afrique, Dieu sait que j’ai de nombreux amis ivoiriens, vous ne serez jamais ivoirien. J’y suis resté 10 ans en Côte d’Ivoire. Je suis resté en Asie, je ne serai jamais asiatique, je ne serai jamais chinois. Par contre, quand je suis dans les rues de Moscou, je ne peux pas faire un kilomètre sans que l’on me demande où est la rue puisque le jeu des moscovites, c’est qu’on est toujours perdu.
Donc par définition, je suis intégrable parce que je ne suis pas reconnaissable. Donc si j’apprécie, si je respecte et que j’ai l’impression d’apporter quelque chose au pays qui me reçoit, je crois que j’aurai les moyens d’exprimer mes capacités de production.
Thomas Béguin : Il y a beaucoup de français qui y sont allés s’installer comme ça ?
Maurice Rossin : Non !
Thomas Béguin : Très peu ?
Maurice Rossin : Très peu, très peu. Les Français lisent la presse et on leur dit tellement de mal sur ce pays que finalement, ils en ont peur et c’est bien dommage parce que c’est une intoxication, à mon avis, qui est nuisible.
“Les Français lisent la presse et on leur dit tellement de mal sur ce pays que finalement, ils en ont peur et c’est bien dommage parce que c’est une intoxication, à mon avis, qui est nuisible”
Thomas Béguin : Donc la presse est un premier obstacle…
Maurice Rossin : Absolument. En particulier en France. C’est l’une des raisons pour lesquelles les Français qui ont tous les éléments pour avoir le cœur des russes finalement… Actuellement le passeport français est moins bon qu’il n’était il y a 15 ans… Beaucoup moins bon.
Thomas Béguin : Ils nous ont attendus longtemps ?
Maurice Rossin : Ils ont attendu longtemps et on a donné trop de leçons de notre superbe. Ce qui est étonnant… C’est quasiment une blague : on est très surpris de voir l’influence des allemands en Russie, puisqu’après ce qu’il s’est passé en 40-45, on se dit ce n’est pas possible. Et en fait quand on y réfléchit bien, les allemands sont des continentaux. Les russes sont des continentaux, les russes ne sont pas des envahisseurs. Ce sont des continentaux. Ce sont des gens de la terre. Et ce flux… l’Allemagne a compris la Russie. Et je l’ai vu au niveau de mes collègues d’ambassade, c’était extraordinaire de voir la qualité des missions qu’ils avaient ! Ils avaient des gens qui venaient produire en Russie, ils n’ont pas peur que les russes produisent. Nous on allait là-bas pour leur vendre des choses. Eux, ils allaient là-bas pour produire avec des Russes. Claas allait là-bas pour faire des moissonneuses batteuses, pour les russes, avec les russes.
Thomas Béguin : Pour le long terme…
Maurice Rossin : Pour du partenariat. Il y avait des fermes qui étaient gérées par des allemands, pour faire des choses. Ils avaient l’impression qu’ils allaient se développer ensemble. Nous, on avait l’impression qu’il fallait leur vendre des choses. Non, il faut produire avec eux.
Thomas Béguin : Alors pourquoi est-ce que les français sont plus sur des opérations « on y va juste pour un coup », plutôt que de vouloir créer des choses, justement dans la durée, avec les russes ? Est-ce qu’il y a un autre frein, à part les médias dont on a parlé ? Est-ce qu’il y a d’autres choses qui nous gênent pour faire ça ?
Maurice Rossin : Je crois que… On pourrait peut-être donner beaucoup de facteurs, mais je mettrais d’abord un peu d’ignorance. Beaucoup d’ignorance sur ce qui se passe là-bas. Beaucoup d’ignorance sur les potentialités qu’il y a sur place. Il y a un peu une responsabilité des deux, des français et des russes. Les russes qui sont quand même un peu rustres, assez durs dans leur première approche. Les Français qui sont un peu arrogants. Un rustre avec un arrogant, ça ne donne pas tout de suite de beaux enfants.
Alors que si vous allez plus loin, quand vous allez à Abraou-Diourso… Vous connaissez le champagne Abraou-Diourso ? Vous avez une coopération entre les champenois et le comte Galitsine, qui a donné des vignobles Abraou-Diourso qui sont extraordinaires avec des caves à la champenoise etc ! Quand j’avais vu ça, j’avais dit « Les Français vont revenir exploiter ce vignoble ». Donc je passais mon temps à chercher un champenois qui voulait revenir à s’installer là-bas, en disant « Vous allez revenir sur les pas de vos prédécesseurs qui sont arrivés là-bas en 1870 et sont partis en 1917 avec la révolution ». Et ben ça s’est pas du tout passé comme ça. Parce que finalement, c’est un russe qui a racheté Abraou-Diourso, qui appartenait à l’Etat, et qui est venu acheter une société en Champagne. Donc c’est les russes qui sont venus acheter en France et c’est pas les français qui sont venus bosser avec. C’est un peu dommage.
Thomas Béguin : D’accord. En parlant d’anecdote tout à l’heure, cela m’en rappelle une seconde dont vous m’avez parlé en préparant l’interview. Celle du gouverneur de Tioumen qui avait invité les français de manière assez spectaculaire…
Maurice Rossin : Tioumen ! Le gouverneur d’appelle Sobianine, une personne fascinante, très mal traitée par la presse, fascinante parce que l’on dit que c’est un ami de Poutine, comme quoi. Il est très intéressant, parce que c’est un ancien serrurier, fils d’un ZEC, prisonnier politique…
Thomas Béguin : C’est le maire de Moscou.
Maurice Rossin : C’est le maire de Moscou, et donc qui est un mélange entre un… un mélange des populations du Nord et d’un ZEC, qui est devenu gouverneur de Tioumen. Il a fait un travail exceptionnel, et en particulier…
Thomas Béguin : Tioumen, pour situer un peu, est une région grande comme… plus grande que la France ?
Maurice Rossin : Et c’est le cœur du pétrole, c’est la capitale pétrolière. Et c’est la Sibérie, donc il y a beaucoup de place. Il a donc importé les vaches et c’est d’ailleurs un acte gratuit parce que.. pourquoi apporter des vaches en Sibérie ? 4 races françaises les plus communes : Salers , Aubrac, Charolais et Limousines, qui ont toutes survécu à moins 40 dehors, même pas enfermées, avec des résultats remarquables. Je suis allé les voir plusieurs fois. Et le gouverneur Sobianine, maintenant Maire de Moscou (c’est pour ça que c’est important parce qu’il a une position politique importante), lorsqu’il a été reçu par le Président du Conseil Régional du Sud de la France Malvy, avait fait cette déclaration de toast, (à la russe on fait des toasts, c’est là que l’on a le plus de vérité que dans les grands discours…) où il félicitait pour les vaches etc… Et à la fin de son toast, il dit : « Bon messieurs, vous nous avez envoyé des vaches, elles sont belles, ça c’est bien beau, mais maintenant la prochaine expédition, envoyez-nous aussi des bergers, des vachers, jeunes. On leur donnera des terres, des belles terres. On a des belles terres. Et avec les vaches, envoyez-nous des gens qui savent les faire produire. On leur fournira des terres. Et envoyez des jeunes parce que nous avons les plus jolies filles de Russie donc les plus jolies filles du monde. Et eux vont s’installer en Russie pour toujours. Et là on aura réussi notre action de coopération. ». Donc, les gens sourient. Et il s’est relevé de sa table et a dit « Messieurs ce n’est pas une blague c’est sérieux. »
Et c’est sur la base de cette blague, qui n’en n’était pas une, que je considère qu’on peut s’installer en Russie à condition bien sûr d’être dans un secteur porteur comme les vaches. Un secteur porteur comme les vaches, il n’y en a pas beaucoup, il y en a quand même bien une dizaine. Mais des gens intelligents comme Sobianine, il n’y en a pas une dizaine, il y en a bien un millier, encore faut-il les chercher !
Thomas Béguin : Très bien, c’est absolument passionnant. Quel serait votre conseil pour une personne qui souhaiterait aujourd’hui partir s’installer en Russie, trouver des terres et rester de manière durable dans une région… Comment est-ce qu’il devrait s’y prendre pour choisir la région, pour rencontrer les bonnes personnes ?
Maurice Rossin : Si vous demandez à quelqu’un « Maintenant tu vas te marier, tu vas chercher une jolie fille… », comment il va s’y prendre ? Il n’y a pas tellement de méthode miracle. Il pourrait faire ça par internet. Il pourrait faire ça par les réseaux sociaux… Mais bon, soyons sérieux. Une personne seule certainement pas, une personne seule hors structure certainement pas non plus. Mais à partir du moment où on a l’impression que nos capacités de produire sont bonnes et qu’on a l’impression qu’ailleurs on pourra produire beaucoup. Une fois qu’on a défini ce dont on a… les « guts ». A force de le faire, on trouve des acteurs sur le marché russe, ou bien en allant voir l’attaché agricole qui est un homme remarquable ici, à l’ambassade de Russie à Paris, remarquable. Il est parfaitement bilingue en plus.
Mais il faut trouver un vecteur, non pas un vecteur payeur du conseil, mais un vecteur qui est prêt à prendre le risque de vous faire venir pour qu’on puisse lui exprimer ce dont il a besoin. On a besoin de management en Russie. On m’a encore demandé la semaine dernière :
« Trouve moi un vacher pour une étable ». Je dis « Combien de vaches? » « 1200 vaches, qui produisent hein ? 2 étables » Avec les deux ça fait 2700 vaches. « Je vais pas te trouver un vacher pour 2700 vaches ». Mais j’aurais à ma disposition 3 ou 4 personnes qui vont s’occuper d’un troupeau de 1200 vaches c’est assez exceptionnel… ça existe. On me l’a demandé la semaine dernière.
Thomas Béguin : Pour finir j’avais envie de vous poser une question sur la langue russe, puisque les auditeurs souhaitent apprendre le russe, progresser. Vous parlez russe ?
Maurice Rossin : Je survis. J’ai appris sur le tas. Mais alors le russe, c’est une langue qui est tellement riche qu’elle est vraiment très compliquée. Mais je me débrouille, je lis la presse sans trop de problèmes.
Thomas Béguin : Qu’est-ce qui vous aurait aidé à l’apprendre mieux ?
Maurice Rossin : La nécessité. On apprend une langue par nécessité. Une langue c’est un effort continu. Toutes les personnes qui ont dû apprendre le russe l’ont appris. Il faut avoir l’impératif de le faire.
Thomas Béguin : Des objectifs clairs !
Maurice Rossin : Oh non, il faut le faire, c’est tout. Je connais personne qui.. C’est plus dur que l’espagnol. Le portugais ou le brésilien, vous l’apprenez en 3 semaines. L’espagnol, vous l’apprenez en trois mois. L’allemand est plus compliqué… Mais, c’est possible.
Thomas Béguin : Ah une dernière chose : Auriez-vous une référence ou deux, de livres à lire sur les campagnes ou le monde rural pour les internautes ?
Maurice Rossin : Je n’en aurais pas… Il y a des tas de choses sur Internet sur l’agriculture russe, mais quant à lire des choses… Bon tiens, lisez Boulgakov… Mais quand on arrive à la connaissance de la Russie par les arts… Si vous lisez Tchekov, vous comprendrez l’âme russe. Si vous lisez Boulgakov, vous comprendrez la folie russe. Tolstoï, vous comprendrez l’histoire russe. Pouchkine ? Vous comprendrez la femme russe.
Il faut lire Gogol, il faut lire le Révizor. Par le Révizor on apprend énormément de choses.
Bon j’ai un faible pour Tchekov, je suis un grand amoureux de Tchekov. La Russie a beaucoup changé maintenant, c’est beaucoup plus l’âme russe à comprendre par sa richesse culturelle, beaucoup plus que par son inorganisation lorsqu’elle était autosuffisante avec les Nania et Onéguine.
On comprend l’âme russe, l’agriculture russe ça se greffe dessus. Il y a pas de bouquins pour l’agriculture russe.
Thomas Béguin : Il faut aller voir !
Maurice Rossin : Oui il faut aller voir. Il y a 93 sujets en Russie… Si vous voulez aller voir de l’élevage, allez voir les Bashkirs, c’est fameux les Bashkirs. Allez voir les Mari El, allez voir le Sud, allez voir le Caucase. Allez voir la Sibérie. Le Nord, c’est pas très bon pour l’agriculture mais tout le Sud, c’est exceptionnel.
Ayez un projet ! Si 10 personnes disent « bon on fait un petit club, on va s’installer etc… ». Recevez, essayez de recevoir des russes chez vous, pour les éduquer chez vous et pour que vous soyez, vous, prêts à les suivre chez eux. Ça à mon avis, c’est possible. Ne confondez pas la bonne volonté avec l’efficacité. Regardez si il y a les moyens d’exprimer ce projet.
Faire un projet c’est avoir des sous. Une personne qui n’a pas de sous et qui a la meilleure volonté du monde, ça ne sert à rien.
En face de vous, fuyez comme la peste toutes les histoires qui commencent par « on va faire.. ». Non, essayez de trouver des gens qui ont les moyens et un problème de management. Et là, c’est à vous de les convaincre de faire leur management et à vous installer avec eux. Mais penser qu’on peut gagner de l’argent en Russie, uniquement avec son savoir-faire et sans argent, le vôtre ou celui des autres, ça c’est la couillonnade.
Thomas Béguin : Très bien, on va suivre ce conseil ! Merci à vous Merci beaucoup Maurice Rossin pour cette interview. Merci à tous et à très bientôt sur Russie.fr.
Maurice Rossin : À votre disposition, si je peux vous donner d’autres conseils, je serais toujours à votre disposition, vous avez mes coordonnées.
J’espère que vous avez apprécié cette interview. Quelle idée principale retirez-vous de cette rencontre ? Dites le dans les commentaires. MErci
Interview incroyable !
monsieur Monsieur Thomas Béguin et monsieur Maurice Rossn
Serait-il possible d’avoir les coordonnées de ce formidable monsieur Maurice Rossin comme il le propose à la fin de son entretien?
Merci pour ces informations très précieuses Monsieur Maurice Rossin, car je suis maraîcher et je compte bien apporter mon savoir sur la production bio légumière et fruitière et faire une grande exploitation pour ce peuple.
j’aimerais bien rentrer en contact avec vous, pour parler de ce projet .
Cordialement Monsieur Goisier
tel: 06 88 63 75 69 / 04 93 48 22 37
Bonjour à tous !
De mon coté, j’ai une activité de mise en relation des PME, PMI et ETI françaises avec les acteurs privés des Régions de Russie. Nous accompagnons les français. Le marché agricole russe offre un potentiel tout à fait fabuleux et incomparable ! Nous mettons en place une offre française globale, avec des savoir-faire complémentaires d’entreprises françaises et les russes nous reçoivent à bras ouverts pour des joint-venture régionales, dans des formats “énormes”. Pour en savoir plus, contactez moi…. [email protected] et regardez sur le site internet http://www.ouspek.org
à bientôt !
Laure
Excelente articulo señor Thomas Beguin, tuve el honor y privilegio de trabajar con el señor Maurice Rossin en Ecuador en los años 90, por favor si me Podría ayudar con un número de teléfono del señor Rossin le agradeceré infinitamente.
Saludos cordiales
c’est un bon état d’esprit, a partir du moment que tu fait de la coopération, c’est profitable a tout le monde. je ne pense pas que l’argent fait tout; ce qui est dommage, et la ca devient politique, que le rapprochement avec l’Europe se fasse aussi difficilement ,c’est dommage ;ont oublient que la Russie fait partie de la grande Europe .a quand va t’ont changer cet état d’esprit!